De Lege Natura - Chroniques en Droit de l\'Environnement

ERIKA : va-t-on casser le jugement de la Cour d’appel de Paris ?

 

 

 

 

Par Romain Ecorchard, juriste Bretagne Vivante 

Le 20 avril 2012

 

 


Brèves réflexions sur les débats actuels à la lumière de la jurisprudence « Fast Independence »


La presse s’est largement faite l’écho ces dernières semaines de l’annonce faite d’une possible annulation du jugement de l’Erika.

 

L’avocat général près la cour de cassation a proposé que la chambre criminelle, examinant le pourvoi de TOTAL contre le jugement de la Cour d’Appel de Paris du 30 mars 2010 l’ayant condamné à payer d’importantes sommes aux parties civiles et amende, casse sans renvoi le jugement en question.

 

On lit dans la presse, à défaut d’avoir eu entre nos mains les réquisitions exactes de l’avocat général, que le principal argument avancé au motif de la cassation serait que la justice française était incompétente pour une pollution intervenue dans la Zone économique exclusive française provenant d’un navire d’un pavillon étranger.

 

D’où provient cette analyse juridique ?

 

Devant les juridictions pénales françaises, ce sont les articles L. 218-10 et suivants du Code de l’environnement qui viennent à s’appliquer. Ceux-ci punissent les fais de pollution en mer. Depuis le naufrage de l’Erika du 12 décembre 1999, cette partie législative a été modifiée à plusieurs reprises, notamment pour venir augmenter les peines prévues en cas d’infraction.

 

Cependant, ces articles sont intimement liés au droit international. Ils ont notamment été pris en application de la convention de Londres de 1973 (modifiée en 1978) et de la convention de MontegoBay du 10 décembre 1982, sorte de « constitution » du droit international de la mer (elle est bien plus large que la simple question des pollutions marines).

 

Parmi les dispositions de la convention de MontegoBay, on retrouve la définition des pouvoirs respectifs des Etats côtiers et du pavillon. L’Etat pavillon est celui auquel est attaché le navire, l’Etat côtier est celui qui a subi la pollution, qu’elle ait lieu dans ses eaux territoriales ou en zone économique exclusive.

 

L’article 217, 4) de la convention de MontegoBay donne la compétence à l’Etat de pavillon de poursuivre son navire devant ses propres juridictions « sans préjudice des articles 218, 220 et 228 de la convention ». Le 8) de ce même article est intéressant dans la mesure où il précise que les sanctions prévues par l’Etat pavillon doivent être suffisamment dissuasives pour éviter une infraction en quelque lieu que ce soit.

 

L’Etat côtier dispose du même pouvoir, en vertu de l’article 220 de la convention, mais l’article 228 de la convention met en place un système de suspension des poursuites de l’Etat côtier si l’Etat pavillon décide de poursuivre. En clair, le principe est que c’est à l’Etat pavillon d’engager des poursuites, et qu’en cas de carence de celui-ci, l’Etat côtier peut intervenir.

Comprenez que dans le cas du procès de l’Erika, l’avocat général a estimé que l’Etat français, donc côtier, n’était pas compétent pour engager des poursuites pénales. J’ignore comment l’Etat de pavillon de l’Erika, Malte, a traité cette affaire. Si celui-ci a été défaillant, l’intervention de l’Etat français, côtier, devrait être en vertu de la convention de MontegoBay validé par la Cour de cassation. Dans le cas contraire…

 

Il convient de relever que la Cour de cassation a dans une affaire précédente « FastIndependence », arrêt de la chambre criminelle du  5 mai 2009, adopté une interprétation très restrictive de la convention de MontegoBay concernant la possibilité pour l’Etat côtier de poursuivre pénalement l’auteur d’une pollution marine en cas de défaillance de l’Etat pavillon. Dans cette affaire, où l’Etat pavillon était… maltais… la Cour d’Appel de Rennes avait estimé que la condition prévue au 8 de l’article 217 de la Convention de MontegoBay (celui même qui dit qu’un Etat pavillon doit prévoir des sanctions suffisamment dissuasive pour éviter une pollution), couplé avec l’article 228, permettait de conclure que le fait pour l’Etat pavillon de prononcer une amende ridicule contre le navire pollueur équivalait à une absence de poursuite dans cet Etat et permettait à l’Etat côtier d’intervenir. Dans le cas d’espèce, le navire « FastIndependance », auteur d’un « dégazage » en zone exclusive française, avait écopé par la juridiction de son Etat d’une amende inférieure à 5% de celle qu’il encourrait devant les juridictions françaises (50 000 euros). La Cour d’Appel avait ajouté à cette amende une amende un peu plus dissuasive, d’un montant de 450 000 euros. La Cour de cassation n’a pas eu la même interprétation que la Cour d’Appel de Rennes, et a cassé sans renvoi cet arrêt.

 

La Cour de Cassation a donc, dans sa jurisprudence la plus récente, une interprétation stricte du droit international des pollutions marines. Cela ne saurait être de bon augure par rapport à la solution qui est attendue dans l’affaire de l’Erika.

 



20/04/2012
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