De Lege Natura - Chroniques en Droit de l\'Environnement

Le Conseil Constitutionnel et les arbres

 

A propos de la décision n° 2014-394 QPC du 07 mai 2014

 

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Le Conseil Constitutionnel a rendu le 7 mai 2014[1] une décision portant sur le thème bien connu du droit du voisinage. En l’espèce, il s’agissait de questions relatives aux arbres limitrophes de propriétés, qui peuvent parfois être la source de nuisance. Objets d'un contentieux fleuve, et de rancunes séculaires, le sort de ces arbres devait inévitablement aboutir devant le Conseil Constitutionnel.


L’article 671 du code civil précise qu'« Il n'est permis d'avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu'à la distance prescrite par les règlements particuliers actuellement existants, ou par des usages constants et reconnus et, à défaut de règlements et usages, qu'à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance d'un demi-mètre pour les autres plantations », et l'article 672 en tire les conséquences en précisant que « Le voisin peut exiger que les arbres, arbrisseaux et arbustes, plantés à une distance moindre que la distance légale, soient arrachés ou réduits à la hauteur déterminée dans l'article précédent, à moins qu'il n'y ait titre, destination du père de famille ou prescription trentenaire. ».

 

Les requérants affirment que ces dispositions sont contraires à la Charte de l’environnement et plus précisément ses articles 1er à 4 ainsi que son article 6 et qu’elles porteraient atteinte au droit de propriété. Le Conseil n’a pas suivi leur argumentation, estimant que ces dispositions étaient parfaitement conformes à la Constitution, en précisant sa jurisprudence.

 

 

La reconnaissance de la valeur constitutionnelle du préambule de la Charte de l'Environnement


La Cour de Cassation qui joue le rôle de filtre dans la procédure de QPC a estimé, en renvoyant l’affaire au Conseil Constitutionnel que « la question, qui porte sur l’application d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’a pas encore eu l’occasion de faire application, est nouvelle »[2].

 

Une réflexion avait déjà été élaborée sur ce sujet par Laurent Fontbaustier, concernant la décision n° 2011-192 QPC du 10 novembre 2011[3], a propos du secret défense. Le préambule de la Charte de l’environnement était utilisé par le Conseil, pour qualifier la sauvegarde du secret de la défense nationale «  d’intérêt fondamental de la Nation ». Ce préambule  affirme en effet que la protection de l’environnement doit être conciliée avec d’autres intérêts dont la sauvegarde constitue une problématique d’intérêt général[4]. Pour L. Fonbaustier, il était probable que le Conseil ne reconnaisse pas l’invocabilité du préambule dans la procédure de QPC. En effet, ce texte a une portée essentiellement déclaratoire, son objectif étant de contextualiser la Charte de l’Environnement, et de justifier la nécessité de son élaboration. Pour autant, la question de la valeur du préambule est toujours sensible depuis la décision « Liberté d’association » de 1971, et il n’était pas inintéressant que le Conseil se prononce. Il reconnait dans cette décision, une valeur constitutionnelle à ces 7 alinéas, cependant, il y affirme également qu’aucun d'eux ne créé un droit ou une liberté que la Constitution garantit. En effet, les conditions de recevabilité de la QPC régies par l'article 61-1 de la Constitution imposent de se baser sur une disposition constitutionnelle garantissant des droits et libertés dans la stricte acceptation du terme :

 

« Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. ».

 

Il n’est donc pas très étonnant au regard du mode d’expression employé dans le préambule, imprécis et à vocation généraliste, que le Conseil écarte la possibilité de le reconnaitre comme porteur de tels droits et libertés. Cependant, il peut servir de base d’interprétation à la Charte, constituant une grille de lecture. Le Conseil profite également de cette décision pour rappeler que l'article 6 de la Charte de l'environnement n’institue aucun droit et aucune liberté au sens de l’article 61-1 pré-cité, confirmant par là sa décision du 11 octobre 2013, n° 2013-346 QPC, Sté Schuepbach Energy LLC.

 

La violation alléguée des article 1 à 4 de la Charte de l’Environnement

 

Le Conseil considère que les dispositions attaquées connaissent de nombreuses exceptions, prévues notamment par le code de l’urbanisme, qui permettent de protéger des bois, des forêts, pouvant également s’appliquer à des arbres isolés même attenants à ces habitations. Il s’agit d’une protection qui peut être accordée à des vieux arbres, d’une espèce particulière, ou qui constituent un élément important du patrimoine de la commune. Les nouvelles règlementations relatives aux trames vertes et bleues peuvent également recourir à cet article afin d’établir un périmètre protégé pour constituer un élément des continuités écologiques.

 

Par conséquent, l’environnement, au travers des arbres, et de la biodiversité qu’ils peuvent héberger reste protégé. On peut penser qu’à contrario, en l’absence de mesures de protection adaptées, le Conseil aurait pu être amené à censurer les dispositions législatives précitées.

 

La Charte est, ici, sollicitée dans un conflit concernant des problématiques de droit privé, les désagréments de voisinage, ce qui avait déjà été le cas de la fameuse décision Michel Z du 8 avril 2011[6]. Cela permet de mettre en exergue la conception large de l’environnement qui prévaut aujourd’hui en droit français, et à laquelle le Conseil fait d’ailleurs référence dans sa décision. En effet, il estime que l’arrachage de certains végétaux, auquel conduit nécessairement l’application des articles 671 et 672 du code civil est  « insusceptible d'avoir des conséquences sur l'environnement ». Il est possible de déduire de cette conclusion que le Conseil ne réduit pas ici, l’environnement à la nature, mais l’aborde dans son sens large et global, comme une combinaison d’éléments entourant l’être humain. En effet, l’obligation d’abattre certains arbres ne conduit pas nécessairement à dégrader l’environnement global, puisqu’ils peuvent bénéficier d’une exception lorsqu’ils présentent un intérêt particulier, en eux même, ou plus largement.

 

Il ne faut pas non plus oublier que ces articles du code civil ne concernent qu’un nombre potentiellement réduit de spécimens, qui pourraient être détruits pour des raisons bien précises, sans cependant qu’il y ait nécessité pour le voisin concerné, de démontrer un quelconque préjudice. On peut néanmoins supposer que la présence d’un arbre, dans les limites fixées par le code civil est de nature à porter atteinte à l’exercice du droit de propriété du voisin, qui peut subir des nuisances dans sa jouissance (racines, moins de luminosité, feuilles sur son terrain…).  Il n’est donc aucunement question de protéger tous les éléments de la nature, le voisinage pourrait légitimement souhaiter leur destruction. La limite est cependant ténue, la conciliation entre les différents intérêts en jeu restant à la charge du législateur.

 

Une interprétation extensive de l’article 2 de la DDHC

 

En matière de droit de propriété, le Conseil s’appuie sur une jurisprudence inchangée, qui consiste à distinguer les situations de privation de ce droit, et les situations ou il lui est porté atteinte. Dans le premier cas, il fera référence à l’article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 :

 

« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ».

 

Dans le second cas, c'est-à-dire une privation du droit de propriété  l'article 2 de la Déclaration de 1789 est utilisé :

 

« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. »

 

En l'espèce, c'est l'application de ce second article qui est retenu, le Conseil estimant que les  atteintes portées au droit de propriété doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi, ce qui est pour le moins une analyse extrêmement large de l’article 2. Cela étant, toutes les décisions du Conseil relatives au droit de propriété sont conçues sur le modèle, qui est devenu une jurisprudence classique de la matière. Le Conseil doit opérer une nécessaire conciliation entre des intérêts divergents, capables de justifier l’atteinte proportionné au droit de propriété.

 

Pour le Conseil Constitutionnel, « législateur a entendu assurer des relations de bon voisinage et prévenir les litiges ». Il estime donc que les dispositions qui sont ici contestées poursuivent un but d'intérêt général. La limitation du droit de propriété étant proportionnelle à l’objectif poursuivi, il n’est pas possible d’arguer de l’inconformité des articles 671 et 672 à la Constitution ;

 

 



[1] Décision n° 2014-394 QPC du 07 mai 2014

[2] Arrêt n° 466 du 5 mars 2014 (13-22.608) - Cour de cassation - Troisième chambre civile - ECLI:FR:CCASS:2014:C300466

[3] Laurent FONBAUSTIER Le côté obscur de la Charte de l'environnement ?, - À propos d'une incise dans la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-192 QPC du 10 novembre 2011,  Environnement - Février 2012 - n° 2

[4] « Que la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation »



08/06/2014
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