De Lege Natura - Chroniques en Droit de l\'Environnement

Le droit international du nucléaire : le règne de la soft law

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Gaëlle Audrain-Demey

19 septembre 2012

 

 

Le choix de produire de l’énergie sous forme nucléaire est un choix politique, qui a été privilégié par de nombreux Etats de la planète, pour des raisons économiques et stratégiques d’approvisionnement. L’énergie nucléaire, depuis sa création, a été source de controverses, en raison des risques et du danger inhérent à sa production. Trois accidents majeurs ont remis en doute la pertinence du développement de cette source d’énergie. En 1979, la centrale de Three Mile Island (Etats-Unis) en Pennsylvanie connait une série de défaillances matérielles et humaines qui provoque la fusion partielle du cœur du principal réacteur nucléaire. L’accident de Tchernobyl (Ukraine), de 1986 est celui qui aura marqué les esprits. Le 26 avril, le réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl explose, libérant dans l'atmosphère une importante quantité de combustible radioactif. Cet accident a provoqué une contamination de l’Ukraine en général, mais le nuage radioactif a également touché les pays transfrontaliers, et au-delà. En 2011, l’accident de Fukushima a rappelé au monde entier, que même dans un pays réputé développé, qui possède la capacité technique de gestion d’une telle centrale, les évènements naturels ne sont pas toujours prévisibles, et peuvent être à l’origine de catastrophes nucléaires.

 

Ces évènements ne sont pourtant pas restés sans effet sur les normes internationales et nationales régissant l’activité nucléaire. En effet, comme toute production de nature industrielle, elle est encadrée par un corpus de règles, d’origines diverses, ayant vocation à encadrer juridiquement la production d’énergie nucléaire de manière à protéger efficacement les personnes, leurs biens et l’environnement. En matière internationale, et en raison du caractère transfrontière des risques, le droit s’est saisi de la question. Cependant, les Etats, dans un premier temps très méfiants, et peu enclins à conditionner leur souveraineté dans un domaine sensible, n’ont pas souhaité s’engager dans des Conventions contraignantes. Même le traité Euratom, ne conférait pas à la communauté une quelconque compétence en matière de sûreté nucléaire. Cette tendance s’est perpétuée, et le droit international du nucléaire est marqué par la domination des dispositions relevant de la soft law, c'est-à-dire du droit non contraignant. La présentation rapide des instruments juridiques fondamentaux en la matière le démontrera aisément.

 

La création de l’Agence Internationale de l’Energie Nucléaire (AIEA) en 1957 a été un premier pas concret dans l’internationalisation des problématiques nucléaires, même si son influence dans les premières années a été assez faible. Le Traité sur la non-prolifération de 1968 a assigné à l’Agence la responsabilité des opérations de vérification, ce qui a constitué un premier pas fondateur. Après Tchernobyl, la tendance s’est accrue, la catastrophe ayant, en effet, permis d’identifier deux failles importantes du droit international, auxquelles il convenait de remédier : aucune procédure de notification d’urgence n’était prévue en cas d’accident nucléaire, et aucun texte ne prévoyait l’organisation de l’assistance à l’Etat sur le territoire duquel survenait l’accident.

 

 

La notification rapide d’un accident nucléaire : un élément clé de la réaction internationale

 

Le 26 septembre 1986, la Convention notification rapide d’un accident nucléaire a été signée, après des négociations très rapides entre 62 Etats. Son article 2 est particulièrement clair sur les objectifs du texte :

 

Notification et information

En cas daccident spécifié à larticle premier (ci-après dénommé «accident nucléaire»), lÉtat partie visé dans cet article:

a) notifie sans délai, directement ou par lentremise de lAgence internationale de lénergie atomique (ci-après dénommée l«Agence»), aux États qui sont ou peuvent être physiquement touchés comme indiqué dans larticle premier, ainsi quà lAgence, laccident nucléaire, sa nature, le moment où il sest produit et sa localisation exacte quand cela est approprié;

et

b) fournit rapidement aux États visés à lalinéa a), directement ou par lentremise de lAgence, ainsi quà lAgence, les informations disponibles pertinentes pour limiter le plus possible les conséquences radiologiques dans ces États, conformément aux dispositions de larticle 5.

 

Globalement, la Convention prévoit un régime solide, mais la sensibilité des Etats concernant le respect de leur souveraineté (sensibilité qui se retrouve très souvent en matière de droit international, et pas seulement en matière énergétique), a conduit à maintenir certaines failles dans les textes. On voit que c’est l’Etat où s’est produit l’accident qui a l’initiative de la procédure prévue par la Convention. Tout dépend de la volonté de cet Etat, qui peut avoir d’autres intérêts, notamment en termes d’image sur la scène internationale, que de limiter au maximum la contamination. En effet, l’énergie, en plus d’avoir une importance stratégique vitale, est la preuve de grandes compétences scientifiques et techniques.

 

 

L’assistance en cas d’accident nucléaire : une volonté de coopérer dans le respect de la souveraineté étatique

 

Suite à l’accident de Tchernobyl, une Convention sur l’assistance en cas d’accident nucléaire ou de situation d’urgence radiologique a été signée. L’assistance mutuelle est une question complexe qui entraine des problèmes de souveraineté, d’immunité, de privilèges, de responsabilité. La question financière n’est pas non plus étrangère à cette complexité. La Convention signée le 26 septembre 1986 a comblé ce manque, les parties s’engageant à coopérer entre elles, avec l’AIEA pour faciliter une assistance rapide en cas de survenance d’un accident nucléaire afin d’en limiter le plus possible les conséquences et de protéger la vie, les biens et l’environnement des rejets radioactifs. Si un Etat partie a besoin d’assistance, il peut la demander à tout autre Etat partie, directement ou par l’entremise de l’Agence. L’Etat qui reçoit la demande détermine rapidement si, et dans quelle mesure il va répondre à cet appel, s’il est en mesure de le faire, et en informe l’Etat demandeur. L’assistance peut être fournie gratuitement ou contre remboursement des frais.

 

Il est évident que l’Etat d’origine de l’accident n’est pas obligé de demander assistance, même s’il n’est pas en mesure de gérer la situation. De plus, un Etat qui reçoit une demande détermine s’il accepte d’y répondre, et dans quelle mesure. Il n’y a aucune obligation, même s’il est en mesure de le faire. Le même résultat aurait-il pu être obtenu sans accord formalisé ?

 

 

La Convention sur la sûreté nucléaire : l’aboutissement mitigé d’un long processus

 

Avant Tchernobyl aucun instrument contraignant pour la sûreté nucléaire n’avait pu être adopté. L’idée de l’établissement d’une Convention sur la sûreté nucléaire a commencé à émerger. Ceci dit, les Etats n’étaient pas prêts à adhérer à un texte qui les soumettraient à un système d’autorisation et de contrôle international sévère. Par conséquent, le modèle de Convention incitative a également été privilégié. Après des négociations houleuses, la Convention sur la Sûreté Nucléaire a été signé le 17 juin 1994. Pour la première fois, certains principes de sûreté nucléaire deviennent obligatoires. Les procédures, applicables en cas d’urgence constituent certes une avancée importante du droit international nucléaire. Pour autant, elles n’ont pas vocation à encadrer l’activité nucléaire quotidienne. Il parait cependant souhaitable, pour des raisons de sécurité, que les Etats hébergeant une activité nucléaire voient les principes et les règles de fonctionnement coordonnés, voire harmonisés selon des critères rigoureusement évalués. Les risques inhérents à l’activité paraissent trop importants pour ne pas placer la production sous de sévères standards.

 

Les Etats signataires sont désireux de promouvoir une véritable culture de sûreté nucléaire, la Convention relève plus de principes fondamentaux de sûreté plutôt que de normes de sûreté détaillées. Il s’agit d’une approche habile, compte tenu des réticences des Etat à accepter un régime international concernant la sûreté nucléaire. Rien n’est fait pour favoriser l’instauration d’une obligation : on se contente d’encourager une attitude positive, une formation intellectuelle, l’approfondissement et le perfectionnement des questions de sûreté nucléaire. La Convention ne comporte pas de dispositions fermes sur le règlement des désaccords et sur les sanctions en cas de violation des dispositions du traité. Elle prévoit cependant un examen avant chacune des réunions des Parties, un rapport sur les mesures qu’elle a prises pour remplir chacune des obligations énoncées dans la Convention.

 

 

L’intérêt de la soft law en matière nucléaire

 

Cette présentation de trois instruments fondateurs en droit international nucléaire met en avant que, paradoxalement la matière doit beaucoup à Tchernobyl, l’irréparable a été attendu pour agir. Le droit international du nucléaire est symptomatique des problèmes et des limitations du droit international en général, et encourt des reproches désormais classiques en la matière. Pour autant, les Etats sont-ils prêt à internationaliser davantage le droit régissant ce secteur stratégique ? Accepteraient-ils des Conventions plus contraignantes ? C’est peu probable, dans des domaines beaucoup moins stratégiques, les Etats sont relativement frileux à adhérer à des instruments internationaux ayant force contraignante (notamment concernant la protection de la biodiversité, la lutte contre la pollution des eaux, la création de réserves naturelles…).

 

La « soft law » semble être un élément inévitable, relevant quasiment de l’identité du droit international en matière d’environnement et d’énergie. Bien qu’elle soit souvent qualifiée d’inquiétante voir de consternante, cette tendance peut influencer positivement les règlementations, sans froisser les susceptibilités nationales. En effet, aucune Convention Internationale contraignante n’aurait pu réaliser l’œuvre des normes et des codes internationaux, non contraignants, qui ont été élaborés depuis 1986, sous l’égide de l’AIEA (notamment des recommandations techniques dans le domaine de la sûreté nucléaire, dans le domaine de la protection radiologique et des transports).

 

Le droit n’est jamais qu’un moyen. Cependant, si les décisions politiques continuent d’aller dans le sens d’un maintien de la production nucléaire, au moins pour quelques dizaines d’années, il est d’une importance capitale que les règles encadrant l’activité bénéficient de l’expertise et du contrôle international devant le risque que représente une telle production. Le cadre juridique est le reflet de la volonté politique, comme l’ont prouvé les controverses juridiques récentes en matière d’énergie renouvelable. Il est donc tout à fait nécessaire de s’interroger sur la pertinence et la suffisance de l’encadrement juridique international de l’activité nucléaire.

 

 

Crédits photo : <a href="http://www.photo-libre.fr">Photos Libres</a>

 



19/09/2012
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