De Lege Natura - Chroniques en Droit de l\'Environnement

Protection de l’Arctique : les limites du droit international de l’environnement (1)

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Gaëlle Audrain-Demey

23 septembre 2012

 

Les problèmes rencontrés par le groupe pétrolier Shell en Arctique remettent sur le devant de la scène la question de l’exploitation des ressources de cette zone, qui compte parmi les plus fragiles du monde. Après avoir dû repousser ses projets en Alaska en 2010, la marée noire du golf du Mexique ayant gelé son programme, le groupe a de nouveau dû renoncer à ses forages, des dommages ayant été constatés sur l’un de ses navires. Il ne s’agit cependant, que d’une interruption temporaire puisque l’exploitation devrait reprendre l’année prochaine, au grand dam des organisations écologistes qui s’opposent à toute exploitation des ressources cachées dans le fond de l’océan dans la région.

 

Les diverses compagnies intéressées (notamment Gazprom qui a manifesté très tôt son intérêt) semblent, malgré tout, moins pressées de rechercher et d’exploiter les hydrocarbures de l’Arctique. Les coûts, sans cesse croissants d’une telle activité, ainsi que le montant très important des assurances expliquent en partie cette tendance. De plus, l’irruption des gaz de schiste dans le débat énergétique bouleverse la situation. La pertinence d’une exploitation, couteuse, des ressources de l’Arctique est remise en question par certaines compagnies.

 

Pour autant, d’autres groupes maintiennent leur volonté de forer en Arctique, malgré les risques environnementaux d’une telle exploitation, qui pourrait s’avérer désastreuse dans un écosystème fragile. Le droit international de l’environnement protège cette région par des Conventions qui ont été signées par les différents Etats concernés. Certaines la protégèrent spécifiquement, d’autres sont générales mais s’y appliquent également. Tous ces textes forment un véritable corpus juridique dont l’efficacité reste encore trop limitée, malgré des avancées incontestables. La coopération entre les Etats côtiers est également organisée, avec les limites inhérentes à la souveraineté étatique.

 

De nombreuses Conventions

 

La Convention des Nations-Unies pour le droit de la mer, dite Convention de Montego Bay définie la première la notion de pollution du milieu marin[1]. Elle aborde également le cas spécifique des zones recouvertes de glace, permettant aux Etats d’adopter des législations partculières les concernant, ce qui concerne en tout premier lieu l’Arctique. La Convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique Nord-est signée le 22 septembre 1992 à Paris, touche à peu près 40% du territoire marin de l’Arctique. Ce texte est considéré comme une grande réussite du droit international, et nombre de ses idées forces ont démontré leur efficacité. Les principes classiques du droit de l’environnement y sont repris : le principe de précaution, le principe pollueur-payeur, ainsi que l’utilisation des meilleures techniques disponibles. Il s’agit d’une Convention très contraignante pour les États qui n’ont pas le choix des moyens de lutte contre la pollution, ils doivent impérativement suivre les prescriptions énoncées dans le système d’annexe de la Convention.

 

La protection de biodiversité est également l’une des bataille à mener en Arctique, A ce titre, la Convention sur la diversité biologique du 5 juin 1992 ou la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES), signée à Washington le 1er juillet 1975, textes généralistes, s’y appliquent grâce à la ratifications opérée par les Etats côtiers. Une convention concerne spécifiquement la région : l’Accord sur la Conservation de l’Ours Polaire signé à Oslo le 15 novembre 1973. L’écosystème entier dans lequel évolue cet animal est protégé par ce texte, qui interdit sa chasse et sa capture, ainsi que l’utilisation à des fins commerciales.

 

L’Arctique est également atteint par une pollution atmosphérique importante, originaire le plus souvent des pays voisins mais qui peut aussi venir de beaucoup plus loin. Par conséquent, la Convention sur la pollution atmosphérique transfrontalière à longue distance signée à Genève le 13 novembre 1979 et la Convention sur les polluants organiques persistants signée à Stockholm le 22 mai 2001 concernent au tout premier plan cette région. Les polluants organiques persistants (POP’s) ont contaminé l’écosystème entier de l’Arctique et ont des conséquents très graves sur la santé des habitants, ce qui explique l’intérêt qui a été accordé aux travaux et à la signature de la Convention de Stockholm par le Conseil de l’Arctique.

 

Une efficacité limitée

 

De nombreuses autres Conventions auraient pu être citées. Ensemble, elles forment un véritable bloc juridique dont les dispositions démontrent  la volonté des Etats signataires de préserver l'équilibre des écosystèmes y compris en Arctique. Cependant,  il est difficile d'estimer l’efficacité de tous ces textes et d'identifier l’action des États en rapport avec leurs dispositions. Les mécanismes de contrôle et de sanction sont souvent le maillon faible du droit international.

De plus l’interdépendance de tous les éléments des écosystèmes rend difficile l'appréciation de l'efficacité d'une Convention. Par exemple, on peut envisager une situation où les dispositions d’un texte visant à empêcher la chasse d’une espèce soient efficaces, et que malgré tout, cette espèce continue de décroître victime de pollutions diverses et variées. Le nombre de Conventions affaibli paradoxalement l’importance de chacune d’entre elle et les contrôles qui peuvent être établis afin de vérifier leur pertinence et leur application. L'intitulé parfois vague et la force contraignante toute relative des dispositions peuvent aussi expliquer le difficile contrôle de l'application d'une Convention par les Etats.

Ce n’est pas la seule faiblesse dont souffre ce droit. Son efficacité suppose la ratification des Conventions par les Etats de la région, et c’est loin d’être toujours le cas concernant la plupart de ces textes. On peut citer, par exemple, le refus des États-Unis de signer la Convention de Montego Bay, ou encore l’absence de ce même Etat et de la Russie  au titre des signataires de la Convention de Stockholm. Cet état de fait est nuisible, puisqu’un écosystème ne peut être réellement protégé que si tous les Etats sur le territoire desquels il est identifié, agissent de concert pour limiter les effets négatifs de leurs activités.

 

Malgré le nombre de Conventions déjà applicable à la région, les Etats côtiers ont ressenti le besoin de créer une organisation spécifique à l’Arctique afin de rechercher ensemble des solutions environnementales, économiques et juridiques aux enjeux problématiques que représente cette région.

 

 

Le Conseil de l’Arctique une volonté de coopérer dans la zone en préservant les souverainetés étatiques

 

La première proposition de coopération dans la zone Arctique est à l'initiative de l'URSS. En 1987 a lieu la première réunion qui aboutira, le 14 juin 1991, à la Déclaration de Rovaniemi instituant la Stratégie pour la Protection de l'Environnement Arctique (SPEA). Ce texte identifie les principales causes de dégradation de l’environnement dans la région : les polluants organiques persistants, la radioactivité, les métaux lourds, le bruit, l’acidification des sols et des eaux, et la pollution par hydrocarbures. La nécessité d’une coopération scientifique visant à lutter contre ces atteintes est soulignée. Il s'agit de la première action concrète visant à instituer, entre les Etats arctiques, une réflexion et une action commune en matière environnementale. L'approfondissement de cette coopération est réalisé par la création le 19 septembre 1996, du Conseil de l'Arctique, par la Déclaration d'Ottawa. Cet organe y est présenté comme un haut lieu de débat, mais en aucun cas, comme ayant un quelconque rôle décisionnel. Cependant, son importance n'est pas à sous-estimer dans une zone qui a rarement connu une coopération inter-étatique au cours de son histoire.

 

            Le Conseil de l'Arctique fonctionne essentiellement par l'intermédiaire des six groupes de travail[2] qui sont constitués en son sein. Ils sont composés d'experts originaires des différents Etats membres, qui ont pour fonction d'étudier la région dans sa globalité, mais également des aspects précis de son environnement. Leurs observations et leurs analyses sont regroupées dans des rapports dont la qualité est reconnue internationalement. Ces travaux permettent une meilleure connaissance scientifique de l'Arctique, qui reste encore une région peu connue du globe. Des propositions y sont émises afin d’améliorer la protection de l’environnement. Bien entendu, elles ne possèdent pas force obligatoire, les Etats sont libres de les suivre ou non.

 

            Cette absence d'obligation est, d'ailleurs, l'une des principales critiques formulées à l'encontre du Conseil de l'Arctique. Même si la déclaration d'Ottawa a permis sans aucun doute d'accroitre la connaissance et la coopération scientifique dans la région et que le Conseil de l'Arctique offre une plateforme de discussion, le travail de ce Conseil ne semble pas encore être déterminant pour l'avenir de la région. L'absence d'élaboration d'une législation commune contraignante en matière environnementale entre les Etats côtiers démontre que l'influence du Conseil de l'Arctique reste relative. Les menaces pesant sur l'environnement rendent ce besoin de texte contraignant plus pressant. De plus, l'organisation du Conseil de l'Arctique, relativement confuse gène la compréhension de son action, et à sa reconnaissance au niveau mondial.

 

            Ce constat, ajouté à celui de l'impuissance relative des Conventions internationales globales inquiète les ONG et les Etats tiers qui poussent les Etats côtiers à trouver d'autres solutions afin de parvenir à une protection efficiente de l'environnement arctique. Le parlement européen en 2008, a demandé l’adoption d’un traité international s’inspirant du droit international en Antarctique, afin de protéger la région arctique.

 

 

Gaëlle Audrain-Demey, Protection de l’Arctique : les limites du droit international de l’environnement, De Lege Natura (de-lege-natura.com – Chroniques en droit de l’environnement), 24 septembre 2012

 

 

Pour toutes informations complémentaires sur le droit international de l’environnement en Arctique n’hésitez pas à me contacter : gaelle.audrain@yahoo.fr



 

 

[1]     Article 1er : « on entend par « pollution du milieu marin » l'introduction directe ou indirecte, par l'homme, de substances ou d'énergie dans le milieu marin, y compris les estuaires, lorsqu'elle a ou peut avoir des effets nuisibles tels que dommages aux ressources biologiques et à la faune et la flore marines, risques pour la santé de l'homme, entrave aux activités maritimes, y compris la pêche et les autres utilisations légitimes de la mer, altération de la qualité de l'eau de mer du point de vue de son utilisation et dégradation des valeurs d'agrément »

[2]              Arctic Monitoring and Assessment Program (AMAP), Conservation of Arctic Flora and Fauna (CAFF), Emergency Prevention, Preparedness, and Response (EPPR), Protection of the Arctic Marine Environment (PAME), Sustainable Development Working Group (SDWG).



23/09/2012
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