De Lege Natura - Chroniques en Droit de l\'Environnement

Modification d’un projet soumis à étude d’impact après consultation du public : de l’importance des détails

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Gaëlle Audrain-Demey

5 janvier 2013

 

 

Une jurisprudence intéressante en matière d’enquête publique, le jugement du TA de Rennes en date du 26 octobre 2012.

 

En l’espèce, un premier dossier de demande d’extension d’un élevage porcin avait été présenté en juin 2006 et soumis à la consultation du public du 12 avril au 12 mai 2007. Un dossier complémentaire a ensuite été déposé le 2 juillet 2008, se basant sur une nouvelle étude d’impact réalisée cette fois-ci en juin 2008, sans qu’une nouvelle consultation du public n’ait été organisée. C’est sur la base de ce dernier dossier que le projet a été autorisé par arrêté du préfet du Finistère en date du 23 mars 2009. Ces deux dossiers différent en ce qui concerne le traitement du lisier produit par l’élevage.

 

Une méthode de traitement différente

 

En effet, le premier dossier mentionnait que le traitement devait être opéré par biodigesteur alors que le second dossier prévoyait, à l’inverse, un traitement par une station de type biologique avec centrifugation. Cette dernière méthode a finalement été adoptée, le pétitionnaire ayant effectué ce changement en fonction de considérations de « faisabilité technique et financière », et par rapport à des avis recueillis durant l’étude d’impact.

 

Le premier dossier présenté avait écarté la solution qui a finalement été retenue dans le second, pointant le fort excédent en potasse produit par la méthode de la centrifugation, et soulignant que les résidus étaient plus conséquents. Le risque de fuite du stockage ainsi que ses impacts potentiels sur ce site sensible avaient été également mentionnés. Le second dossier présenté ne fait, cependant, plus aucune allusion à ces éléments, se contentant d’affirmer que « le procédé a fait ses preuves » et que la première méthode n’avait pas été validée par manque d’efficacité du système. Le juge considère « qu’aucune justification du changement n’est apportée, notamment au niveau environnemental ». Les deux dossiers se contredisent manifestement concernant cette question de la méthode du traitement des déchets.

 

La  jurisprudence considère de manière constante que « les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative ».

 

Pour un exemple récent d’application, on peut citer un arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes, du 26 octobre 2012 (n°10NT01835). En l’espèce, il s’agissait du sort des effluents issus du projet de station d’épuration. Le dossier présenté lors de l’enquête publique mentionnait qu’ils seraient rejetés dans le fleuve après transit par un de ses petits affluents. Après l’enquête, le commissaire enquêteur a émis un avis défavorable à la solution retenue, estimant que l'étude de l'aménagement de l’affluent en question n'avait pas été suffisamment approfondie. Le préfet a donc finalement prescrit un rejet direct dans le fleuve par des canalisations des effluents traités. Or, la première solution avait été présentée dans l’étude d’impact comme garantissant des bénéfices environnementaux pour l’affluent en question. Le juge estime qu' « aucune analyse des effets sur l'environnement de la solution définitivement retenue n'était exposée », alors même que la solution d'un rejet dans l’affluent avait été présentée comme apportant un gain environnemental. De plus, « l’étude ne comportait aucun élément sur les modalités et les difficultés techniques de la solution retenue par l'arrêté critiqué, ainsi que sur ses incidences sur la commodité du voisinage et la sécurité publique » alors que les canalisations allaient longer des zones urbanisées. La CAA de Nantes estime donc que l’étude d’impact est entachée par des lacunes qui revêtent un caractère substantiel, ce qui n’a pas permis au public d’être suffisamment informé sur le projet.

 

Concernant le jugement du TA de Rennes du 26 octobre 2012, le juge estime qu’il existe des contradictions manifestes entre les deux dossiers présentés. La méthode sélectionnée dans le second dossier étant plus défavorable pour l’environnement que celle qui avait été fixée dans le premier, le public, le commissaire enquêteur, et les administrations compétentes doivent pouvoir s’exprimer sur ces modifications qui ne constituent pas un détail, compte tenu du lieu d’installation du projet.

 

Un élement décisif

 

En effet, la région est classée « entièrement en zone vulnérable ». La Directive 91/676 du 12 décembre 1991 concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d’origine agricole (Directive "nitrates") a pour objectif de réduire la pollution des eaux, qu’elles soient superficielles ou souterraines. Elle impose aux Etats membres la mise en place de programmes de surveillances des eaux, un zonage des secteurs contaminés ou qui sont particulièrement sensibles et qui risquent à terme d’être pollués. Des plans d'action doivent être associés à ces zones. Les articles R.211-75 à R.211-84 du Code de l’environnement précisent l’ensemble de la procédure relative à la protection des eaux par les pollutions aux nitrates d’origine agricole, et notamment la définition des zones vulnérables, le contenu du programme d’action et les prescriptions minimales à respecter en zone vulnérable, la procédure d’élaboration du programme d’action… La Bretagne est reconnue comme zone vulnérable et, est tenue de respecter des programmes d'action pour lutter contre la pollution de l'eau par les nitrates d'origine agricole (voir DREAL Centre Délégation de bassin Loire-Bretagne, Révision des zones vulnérables à la pollution par les nitrates d'origine agricole suite à la cinquième campagne de surveillance, Novembre 2012).

 

Cet élément est décisif dans la décision du juge, qui estime que, compte tenu de la nature de la modification entre les deux dossiers et de son importance dans un milieu particulièrement sensible, il n’était pas possible de considérer que le public avait été suffisamment informé sur le projet et ses conséquences sur l’environnement. Une autre consultation du public aurait dû être organisée. Par conséquent, le principe d’information du public (articles L.110-1 et L.123-3 du Code de l’environnement) est méconnu par la décision du préfet du 23 mars 2009. Le juge considère que le dossier d’étude d’impact est insuffisant et annule donc l’autorisation de l’extension de l’élevage porcin.

 

C’est la particulière sensibilité de l’environnement aux rejets potentiels du projet concerné par l’étude d’impact qui permet au juge de considérer que la question de la méthode de traitement des effluents revêt une telle importance. Le public devait en être informé, la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole étant l’objet de beaucoup d’inquiétudes. Il est vrai que la différence d’efficacité entre les deux méthodes existe, elle reste cependant minime, comme le reconnaît le juge. Ce dernier estime cependant qu’il s’agit d’un élément clé de l’appréciation du public, et non d‘un détail insignifiant, ce qu’il aurait peut-être été tenté de juger dans des régions peu exposées à la pollution des eaux d’origine agricole.

 

Mais dans le cas d’une zone particulièrement sensible à la pollution des eaux par les nitrates, la question doit être au cœur de l’étude d’impact, et tout détail apparent possède son importance.


 

 

Pour citer cet article : Gaëlle Audrain-Demey, Modification d’un projet soumis à étude d’impact après consultation du public : de l'importance des détails, De Lege Natura (de-lege-natura.com), 5 janvier 2013



05/01/2013
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